Réparer le tissu déchiré du monde
Le philosophe Abdennour Bidar publie "Les Tisserands, réparer ensemble le tissu déchiré du monde" aux éditions Les liens qui libèrent. Ceux qu'il appelle Les Tisserands sont ces millions de personnes acteurs des révolutions tranquilles, les nouveaux résistants, les modestes héros de notre temps. Dans une réflexion militante autant que méditante, politique autant que philosophique, il en appelle avec optimisme une nouvelle ère moins matérialiste et moins égoïste.
Faces à la morosité ambiante, les Tisserands ont décidé d'agir. Partout, chacun à son échelle, chacun avec son réseau, ils ont répondu à l'urgence cruciale de recréer toutes les lies nourricières de la vie humaine, notamment trois : le lien à soi, avec notre moi profond, le lien de fraternité et de coopération avec les autres, le lien d'émerveillement et de méditation à la nature. Au cœur même de notre époque désenchantée, ils préparent ainsi le ré-enchantement. Car leur tissage patient, souvent modeste, toujours vital, propose enfin quelque chose comme le projet de civilisation que nous attendons tous. En effet, ce qu'ils font n'est pas seulement neuf mais très puissant, très universel, parce qu'il répond au besoin de sens et à un humanisme partageable et sans frontières qui est au cœur de notre époque. Mais ces Tisserands ont-ils conscience de leur force, de leur nombre, et de l'ampleur de la grande réparation du monde humain qu'ils ont commencé silencieusement d'initier ? Pour l'heure non : ils sont trop séparés les uns des autres, ils agissent sur trop de plans – spirituel, social, écologique – pour qu'il leur ait déjà été possible de se rencontrer, de se reconnaître et d'unir leurs forces en synergie décisive. L'objectif de ce livre naît de là, de la volonté de "relier tous ces relieurs" en leur offrant ici l'un de leurs premiers points de ralliement et d'union.
L'interview:
Artisans, représentants d’une nouvelle ère, plus partageuse, moins matérialiste, moins égoïse, les tisserands ce sont tous ceux qui n’en peuvent plus du tissus déchiré du monde : fractures sociales, fractures culturelles, peur de nouvelles guerres de religion. On s’inquiéte des inégalités qui s’aggravent, on s’inquiète de la crise écologique, qui est aussi une crise du lien, du lien perdu avec la nature. Donc les tisserands et les tisserandes ce sont qui patiemment, collectivement ont entrepris à toutes les échelles de renouer, de retisser, de recoudre ces liens qui ont été endommagés ou rompus. C’est à dire qu’ils se sont rendus compte que derrière tous ces disfonctionnement il y a un dénominateur commun qui est le mauvais état du lien. Je l’aborde sur trois plans : intérieur, social et écologique. J’appelle ça un ONI Objet intellectuel non identifié. C’est un traité de spiritualité politique et de politique spirituelle. Dans la crise spirituelle il y a la crise du lien à soi, du lien à l’autre et du lien à la nature. C’est en même temps une crise politique.
D’abord le lien à soi c’est important. Voyez de nos jours tous les gens qui prennent du temps pour réfléchir au sens à donner à sa vie, à renouer des liens avec soi. Regardez le succès des pratiques de méditation. Il y a dans le monde du travail tous ceux qui travaillent à renouer le lien social, à désenclaver les ghettos de riches et les ghettos de pauvres, il y a aussi incompréhension, incommunication entre les différents groupes de notre société, toutes les peurs, tous les replis identitaires autour de l’islam. C’est vraiment la crise du lien. Et c’est pareil avec la nature. On vit dans un univers hyper froid, au milieu de matières mortes, béton, plastic, acier. On a perdu cette familiarité, cette proximité avec la nature, ce lien nourricier qui permet de donner à nos vies une immense respiration. Quand on trouve le chemin de l’intériorité, quand on trouve avec l’autre une relation qui est moins égoïste, une relation plus de partage, de fraternité, de solidarité, quand on arrive de nouveau de trouver à la nature un lien d’émerveillement, on respire, on donne à nos vies plus de sens et de saveur. Etre optimiste c’est un engagement et une responsabilité. Le but du livre est de permettre aux gens de se reconnaître, de réaliser qu’ils sont tisserands-des, parce qu’ils ont entrepris de recréer du lien.
On cultive dans notre société un sentiment d’impuissance. Les problèmes sont trop complexes, on est dépassé par les événements, on se sent seul, démuni. On ne sait pas dans quelle direction agir. Les tisserands ce sont ceux qui sont conscients qu’ils n’ont pas une baguette magique pour régler les problèmes du monde. Au moins ils ont compris dans quelle direction il fallait avancer, ils ont commencé de se fédérer, de se mobiliser dans des associations, dans des engagements bénévoles ou professionnels et j’ai voulu par ce livre leur donner une prise de conscience de soi pour qu’ils aient de plus en plus confiance et qu’ils se connectent les uns avec les autres jusqu’à atteindre une masse critique qui va leur permettre de peser sur le cours du monde, c.’à d. de le transformer par rapport à toutes les logiques actuelles qui sont des logiques de déliaison, de dislocation. On dresse les gens les uns contre les autres, que ce soit dans la religion ou dans l’économie.
Les populations ont vraiment les cartes en mains. On souffre tous de l’impuisssance des politiques. On a l’impression qu’il y a une inflation du politique, une déflation de la proposition politique qui devient chronique. En revanche ce qu’on ne dit pas assez c’est qu’il y a du côté des sociétés civiles un formidable appétit de mobilisation, des gens qui ontenvie de se retrousser les manches, de prendre les choses en mains